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“Bohème”, 1er roman d’Olivier Steiner : un homme aime un homme qui aime Wagner

Olivier Steiner

Olivier Steiner

Comme on jette une bouteille à la mer, Tarik Essaïdi, alias Jérôme Léon, glisse un mot avec son numéro de téléphone dans les mains du metteur en scène, Pierre Lancry, à l’issue d’une représentation au Prado. Très vite, Pierre part pour Los Angeles pour mettre en scène Tristan et Isolde. Quant à Léon, jeune beur homosexuel à l’enfance « honteuse », il vend de l’huile d’olive dans l’Ile Saint-Louis et voue une passion à Marguerite Duras. La distance est propice à une relation épistolaire où les SMS et les mails ont remplacé les lettres. Jérôme se confie à Pierre qui, malgré sa maturité, sa notoriété et sa femme, accepte d’entrer dans le jeu de Jérôme. De fil en aiguille, la confidence vire à la séduction, au désir déclaré, puis à la fièvre de la passion amoureuse. Rendez-vous est pris pour une rencontre moins virtuelle à Trouville…

Le grand intérêt de ce premier roman d’Olivier Steiner (éd. Gallimard) réside certainement dans la réinterprétation, à la sauce virtuelle du XXIè siècle, de cette lettre que Wagner avait adressée à Liszt, dans laquelle il affirme que le désir d’amour est plus fort que l’amour lui-même : « Comme dans mon existence, je n’ai jamais goûté le vrai bonheur que donne l’amour, je veux élever à ce rêve, le plus beau de tous les rêves, un monument dans lequel cet amour se satisfera d’un bout à l’autre. […] Mes conceptions poétiques ont toujours précédé mes expériences vécues. » L’auteur poursuit l’intrigue autour de cette idée développée par Wagner : « Tristan est né du désir de l’amour, non de l’amour. D’un mouvement qui aspire à créer, non de l’expérience vécue. Ce n’est pas l’amour qui a suggéré le poème, c’est le poème qui a suggéré l’amour. L’art précède la vie, et triomphe sur elle. Donc, ce n’est pas parce qu’on est amoureux qu’on écrit Tristan, mais c’est parce qu’on a écrit Tristan qu’on devient amoureux. »

Est-ce pour justifier cette assertion que la montée en puissance de cette correspondance numérique sur fond de lyrisme wagnérien ne nous envoûte pas totalement ? La force d’une relation épistolaire réside dans le non dit, ce vide suggestif où vient s’abreuver l’imaginaire. Or, outre quelques tics de langage superflus (« en fait », « voilà »…), l’auteur parvient trop rarement à s’oublier. Dès lors, le dialogue intime – à tendance autobiographique ? – touche peu ; les émotions décrites, la tension, semblent un brin artificielles. Pierre écrit à Jérôme : « Votre façon d’aller au fond des choses, parfois, sans détour, au moment où l’on s’y attend le moins, avec cette acuité si décapante, est étonnante (p. 185). » Suffit-il d’affirmer les choses pour les faire exister, les donner à ressentir ? Pierre, encore, se dit « ému », « troublé » (p. 29). Fort bien, mais le lecteur partagera-t-il cette émotion ? Ne se sentira-t-il pas, malgré lui, voyeur d’une histoire dont il a un peu l’impression d’être exclu ?

En revanche, une des qualités de cette “Bohème” consacrée aux attractions et incertitudes de l’amour, tient aux variations des styles narratifs, où les deux protagonistes se montrent l’un fiévreux et mordant, l’autre compatissant et raisonnable – ce qui donne une densité psychologique certaine aux personnages, lesquels gagnent ainsi en réalisme. L’auteur, qui fut également comédien, n’a pas fréquenté les planches pour rien…

“Bohème” d’Olivier Steiner (éditions Gallimard)

Delphine Désveaux

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