Voyager jusqu’au bout de l’alcool. Arrêter avant que le train déraille définitivement. Raconter son histoire sans tricher. Aller au-delà du simple récit, pour en faire une œuvre d’art.
L’ivre livre
Attention, lecture sportive. Ça secoue. Mais le match entre la narratrice et la bouteille nous accroche jusqu’au bout, tant est forte l’ivresse de cette lecture si singulière. Dans « L’Impersonne »*, ce récit pourtant si personnel, basé sur la vérité pure devenue roman par la seule force de la narration et du style, il ne s’agit pas que d’addiction. Amour, sexe, travail, aspiration à quelque chose de plus grand que nos petites vies – tout cela traverse le livre de cette femme enfin apaisée, qui avait vécu la gloire et le scandale à 26 ans avec « Elle » (l’histoire d’une lycéenne tombant amoureuse d’une de ses profs), et qui 29 ans plus tard fait son come back à bord de cet ovni fascinant…
Ça débordait, ça giclait
« Quand on buvait on était plein d’amour On en avait à foison ça débordait des veines ça giclait de partout ça faisait des fontaines de je t’aime qu’on aurait pu dire à un mur Tout dépendait du dosage du degré d’imprégnation Si on voulait être bien amoureux considéré comme tel crédible en somme fallait savoir s’arrêter à temps avant la débandade le tangage oui. Au début on savait après non. »
Des majuscules et de l’action plus que de la ponctuation : livre à boire cul sec.
Vie d’une « impersonne »
Le verre était dans le fruit… « A 18 ans, elle boit déjà », dit Martine Rofinella de cette narratrice dont elle ne cache pas qu’à quelques détails près, c’est d’elle qu’il s’agit. « Sans s’en rendre compte car à cet âge le corps et le cerveau encaissent tout, elle a commencé la destruction de sa personne ». D’où ce terme, l’impersonne ? « Oui. Car petit à petit, elle perd son identité. En se remplissant de cet alcool qui prend le pouvoir, elle perd sa personnalité, elle devient vide. A 30, puis 40 ans, elle ne sera plus qu’un clone d’elle-même. Avec un semblant de vie, et des émotions qui ne seront plus que des apparences d’émotions, faussement fortes ».
Faire l’amour, jouir mais…
… Sans y être. Depuis qu’elle est en âge d’aimer, elle n’y arrive pas. Ou pas très bien. Des liaisons, des sentiments, des orgasmes – mais de catégorie B la plupart du temps. L’alcool facilite les choses, lui faisant oublier à quel point toute réalité amoureuse est loin de son rêve. Et les rend difficiles, car ça la met en vrac. Alors oui, elle vit des passions, mais qui se dégonflent comme des baudruches. Du coup, « l’impersonne », qui dans ce récit dit « on » et pas « je », cherche aussi son identité amoureuse dans la religion : « avec le Christ au moins, on n’est pas obligé de coucher ». Mais là aussi, flop.
Auteure très spéciale
- Rapide : a pondu son manuscrit en 3 semaines. Lente : puis en a fait 7 ou 8 versions.
- Texte sans ponctuation (« cela m’est venu comme une vague », mais rassurez-vous : des majuscules marquent le début des phrases, car « j’écris pour moi, mais je veux que les autres me comprennent »).
- Aime l’amour (avec les femmes), mais sexualité pas vraiment débridée (« une espèce de j’m’en-foutisme corporel») bien qu’ayant écrit plusieurs romans érotiques.
- Sens du tragique, et de l’humour (certaines rencontres ou séparations amoureuses sont à hurler, certes, mais de rire).
- Rayon alcool, abstinence totale depuis le 15 avril 2013. Date à laquelle elle s’est séparée de sa compagne d’alors, qui avait 25 ans de moins qu’elle, avant de suivre des cours de théologie. Mais l’amour est toujours en embuscade…
Par Gilles Chenaille
(article de Marie Claire, enrichi)
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