Dans “Vies et morts de Vince Taylor” (éd. Fayard), Fabrice Gaignault retrace la trajectoire erratique d’un allumé des sixties, un de ces loosers magnifiques qui pimentent l’histoire cruelle du show business. Mais celui-là était plus allumé que les autres, son histoire encore plus folle, sa chute encore plus dure. Débarquant à Paris en 1960, né en Angleterre où il a têté ses premiers biberons d’apprenti rocker, c’est en France que celui dont s’inspirera David Bowie pour son personnage de Ziggy Stardust tentera sa chance. Rival n°1 de Johnny Halliday à ses débuts, déclenchant l’hystérie dans les salles où il passait, cette étoile filante a frôlé le soleil de la gloire puis, dans son autodestruction galopante, s’est spectaculairement déglinguée. Roman vrai ? Bio romancée ? Le terme tendance, relancé récemment par Frédéric Beigdeder qui sait puiser aux bonnes sources américaines, est faction : facts + fiction. Des faits + de la fiction. Dosage dans lequel excelle Fabrice Gaignault, journaliste capé et auteur de “L’Eau noire” et de “Aspen Terminus”. Sous sa plume empathique, ce livre rock and roule dans la bonne direction : celle de ces bouquins finalement inclassables, où souffle un air de liberté et d’extravagance, qui pour être sombre n’en a pas moins d’éclat. > INTERVIEW sans concession d’un auteur que l’interviewer ne se cache pas de tutoyer.
Quelle drôle d’idée de faire un livre sur Vince Taylor… Tu as cherché la difficulté, là ? Un livre sur quelqu’un que plus personne ne connaît, et dont a priori tout le monde se fiche ?
Tu es un peu dur, là… mais ce n’est pas complètement faux. Who cares Vince Taylor, le loser du rock ? Justement… moi ! Ce personnage m’intéressait par tous ses a-pics grandioses, ces up and down, ces moments de grâce absolus sur scène et ceux, pathétiques, de ses come-backs loin d’être à la hauteur. Mais il faut le savoir, la légende noire de Vince Taylor, ce rocker érigé au rang de mythe, n’a jamais été effacée : des types comme les Clash l’ont réhabilité et une star comme David Bowie affirme s’en être totalement inspiré pour son album « Ziggy Stardust ».
Comment comprendre aussi bien son personnage ? Quelle (sombre) part de toi s’est-elle mise en résonance avec ce rocker suicidaire ?
C’est simple, selon moi, Vince Taylor symbolise d’une certaine façon le destin de n’importe qui d’entre nous, ou à peu près, et c’est vrai que je suis modérément optimiste quant à notre destin… Chacun d’entre nous est dans le caniveau mais seuls certains d’entre nous contemplent les étoiles, comme disait ce cher Oscar… J’aime assez l’entêtement avec lequel Vince Taylor a mené sa carrière vers des…gouffres. Avec panache et vista. Ainsi que je l’écris dans mon avant-propos, le mot de carrière est un mot déplacé lorsqu’on évoque les vrais rockers. Ceux-ci doivent connaître l’ascension et la tragédie. Je sais, c’est très romanesque mais c’est ainsi que Vince est- aussi- grand.
Précisément, quelles sont celles de ses folies, ou de ses « défauts », pour lesquelles tu éprouves le plus d’indulgence ?
Ses folies ? Se prendre pour Saint Matthieu après un mauvais trip d’acide en compagnie de Bob Dylan. Décréter qu’il est la réincarnation de ce saint, débarquer dans cette posture à La Locomotive pour un concert qui devait être capital pour son come-back et faire tout foirer d’une façon extravagante. Vouloir entraîner en douce un copain dans le Concorde afin de le piloter. Ses folies plus douces ? Ignorer la demande de Rory Gallagher qui voulait le prendre sur un de ses albums… Plonger dans le Lac Léman pour regagner l’Amérique à la nage… Fou, peut-être, mais drôle aussi.
Tu es journaliste, auteur, mais aussi musicien à tes heures… Est-ce que le guitariste Fabrice a un peu aidé l’écrivain Gaignault dans la compréhension de son personnage et de ses (més)aventures ?
Oui, car lorsque j’ai visionné ses scopitone, j’ai vu et compris à quel point ce grand pro savait s’entourer de remarquables musiciens. Surtout dans la toute première période, de sacrées pointures anglo-saxonnes…
Ton jugement personnel, hors écriture et donc non littéraire, sur Vince Taylor ?
Un bon chanteur, mais surtout un extraordinaire showman. Peut-être le type qui m’a le plus impressionné sur scène, à ce que j’ai pu en voir sur internet, car je n’ai jamais assisté à l’un de ses concerts. Personnel ? Un type plus doux que la légende de bad boy qui lui colle à la peau. Amusant mais à petites doses, insupportable, par moments. Le génie du geste et de la mise en scène de la destruction ( involontaire ?) lui ont fait éviter la ringardise à laquelle il était promis…
En aurais-tu fait un ami (de toute façon, maintenant, il va te coller au train jusqu’à la fin de tes jours…) ?
Non, car il ressemble trop à certaines personnes, trop proches de moi, et qui m’ont bien gâché l’existence dans la passé. Je connais ce genre de phénomène, odieux insupportable, alcoolo mais en même temps drôle, gentil, attachant et dingue. Je l’aurais supporté à petites doses, mais sait-on jamais ?
En quoi ce livre est-il une bio, et en quoi un roman ?
J’aime bien le mot qu’emploie Frédéric Beigbeder à propos de son livre sur le premier amour de l’écrivain américain Salinger : faction. De fact (fait) et fiction. Car « Vies et mort de Vince Taylor » est vraiment ça : tout y est vrai, tous les témoignages ont été recoupés, mais il me fallait aussi me mettre dans la peau du rocker et laisser mon imagination s’envoler lorsque je voulais mettre du vécu qui ne soit pas purement factuelle. J’ai une sainte horreur des bios anglo-saxonnes qui mettent un point d’honneur à vous décrire jusqu’au ticket de pressing d’Hemingway ( pour prendre un exemple) mais ne font entrer aucun souffle subjectif. Ces bios sont aussi attirantes que la lecture du Journal Officiel. Très peu pour moi !
Comment as-tu travaillé ce sujet avant de t’atteler à la rédaction ?
J’ai rencontré une multitude de témoins dont j’ai enregistré les propos. J’ai commencé par mettre à plat tous leurs récits, j’ai parallèlement lu tout ce qui était possible de lire sur internet et bien sûr j’ai lu son autobiographie ainsi qu’un ouvrage d’un passionné de Vince.
Concrètement, comment as-tu mené l’écriture de ce livre ?
Je l’ai construit d’une façon purement chronologique, mais en prenant bien soin de varier les angles des chapitres, comme s’il s’agissait d’un film. Et ce, afin de rendre la lecture moins linéaire. Parfois un témoin parle, parfois je me mets dans la tête de Vince, parfois encore je change de focale et me approche au plus près de lui pour décrire ce qui lui arrive.
Pour un journaliste, quels sont les pièges à éviter quand on écrit autre chose que des articles ?
Faire « l’écrivain » en surjouant le style. Mais aussi s’imaginer qu’un livre peut-être écrit comme un long article roboratif et sans souffle…
Tu es à Marie Claire rédacteur en chef « Culture et Célébrités ». En quoi ton regard quotidien sur ces célébrités t’a-t-il aidé (ou desservi) ?
J’ai appris au cours des années à ne plus être surpris par l’inattendu : une personnalité en apparence, ou plutôt de loin, brillante peut se révéler terne et donc sans grand intérêt, et à l’opposé une star peu enthousiasmante se révèlera surprenante. C’est tout le mystère et l’attrait de ce métier : les idées préconçues peuvent être mauvaises conseillères. La même chose avec Vince Taylor : autour de moi, certains, au début de mon entreprise, semblaient interloqués et même très dubitatifs : comment un rocker au succès bref et depuis pratiquement tombé aux oubliettes pouvait-il susciter à ce point mon enthousiasme ? Réponse : il faut savoir creuser et se fier à son instinct.
Les sujets de tes livres sont souvent « people ». D’où vient cet intérêt, ou cette fascination ?
Les « people » sont, qu’on le veuille ou non, les héros de nos tragédies (et comédies) contemporaines. Héros au sens où ils fascinent les foules et parfois les lecteurs !- par le récit de leur vie, peu importe qu’elles soient passionnantes, mais qui en disent long sur l’Homme. Des chansons de geste ? Voilà qui est raccord avec le plus gestuel des chanteurs que le rock ait jamais connus.
Propos recueillis par Gilles Chenaille
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