Les écrivains oublient parfois qu’un livre doit être, aussi, distrayant. C’est-à-dire nous sortir de nos petites obsessions habituelles, jusqu’à parfois nous les faire oublier pour quelques heures. Il ne s’agit pas de décerveler le lecteur, de lui anesthésier le cerveau, mais de l’oxygéner. Le dernier roman d’Emmanuelle de Boysson, “La Revanche de Blanche” (éd. Flammarion), s’adresse à cette partie de nous demandant à être surprise, amusée, inquiète et parfois émue, sans sombrer dans la noirceur métaphysique ni la pose stylistique, mais en jouant tout simplement – avec élégance et talent – son rôle de roman populaire et délibérément distrayant. Blanche, son héroïne, élevée par sa marraine Ninon de Lenclos, maîtresse du jeune Louis XIV, amie et rivale de la Montespan, a toutes les qualités qui nous donnent envie de la suivre, côté salon et côté boudoir. Un roman pétillant de vie et d’humour, jolie machine à remonter le temps pilotée par une auteure bienvenue dans notre Rue…
Un roman historique, est-ce plus « roman », ou plus « historique » ?
Emmanuelle de Boysson : Certains critiques ont comparé mes deux romans, Le salon d’Emilie et La revanche de Blanche, à Angélique marquise des anges et à Caroline Chérie. J’en suis très flattée. Jacques Laurent, alias Cécil Saint-Laurent, est un de mes auteurs préférés. Il a compris que l’histoire est un décor fantastique, une marmite d’ingrédients pittoresques, romanesques. J’avais écrit une biographie romancée sur une aventurière du XVIIe siècle, L’Amazone de la foi (Presses de la Renaissance), mais surtout des romans contemporains et des essais. La proposition de mon éditeur, Guillaume Robert, m’a séduite. Je me suis lancée et me suis sentie très à l’aise dans le siècle de Molière et de Racine. J’ai construit un scénario très contemporain : l’ambition, les passions sont intemporelles. La distance du temps m’a donné plus de liberté, plus d’audace que dans mes romans d’aujourd’hui. Pour moi, le roman prime. J’ai voulu des rebondissements, une intrigue qui tienne le lecteur en haleine jusqu’au dénouement final. Quant à l’Histoire, elle me passionne. Les salons littéraires des précieuses ne sont pas si éloignés des cocktails littéraires et des salons du livre auxquels je me rends comme on va à la cour ! On y trouve des petits marquis, des pédantes, des dandys… J’ai beaucoup appris. Je n’ai pas voulu ennuyer mon lecteur avec trop de documentation. Les événements de l’époque : la Fronde, la prise du pouvoir par Louis XIV, ses maîtresses, l’affaire des poisons servent le roman. J’ai mis en scène, à ma façon, des anecdotes historiques, des situations cocasses : les dialogues, les descriptions, l’imagination permettent de les ressusciter, d’en jouer. J’ai voulu recréer les atmosphères : les odeurs fortes, la saleté des châteaux, les mœurs (on pissait derrière les rideaux), la médecine… Je me suis moquée de la noblesse, un peu à la manière de Saint-Simon, le plus cruel et le plus drôle des observateurs de son temps !
Un roman historique vous entraîne dans l’Histoire à travers un roman captivant, des personnages attachants, du suspense. Mieux qu’une biographie, il vous permet, de découvrir une époque, d’en sentir l’esprit, d’avoir la sensation grisante de remonter le temps, de vivre dans un monde qui fait partie de notre inconscient. Un monde à la fois dépaysant et proche du nôtre. En un mot, ce voyage dans le passé éclaire notre présent, en donne les clefs, nous réconcilie avec ceux qui nous ont précédés.
Votre héroïne côtoie Louis XIV, Ninon de Lenclos et La Montespan, qui sont eux aussi des personnages de ce livre… Comment avez-vous abordé le travail de documentation ?
E. de B : Je ne suis pas un rat de bibliothèque ! Je commence par lire de nombreuses bios, essais… J’établis une longue chronologie mois par mois de tous les événements, y compris le temps qu’il fait, les détails : costumes, décors, nourriture… Je rédige un scénario (qui change au fil de la rédaction). Et puis je me mets à écrire, reprenant ma doc, selon les besoins. Un va et vient incessant. Un art du dosage, de la sélection, de l’adaptation, de la modernisation, de la mise en scène. Mon style se veut très actuel : je ne vais tout de même pas parler la langue du XVII è !
Quelles sont les avantages et difficultés à l’écriture d’une suite – puisque « La revanche de Blanche » succède au « Salon d’Emilie » ?
E. de B : La revanche de Blanche peut se lire indépendamment du Salon d’Emilie. Dès le début, le lecteur comprend l’histoire d’Emilie, la mère de Blanche. Je n’ai eu aucune difficulté à faire une «suite ». J’avais en tête une idée : Blanche voudra venger sa mère. Comme pour les acteurs – j’ai été actrice, en particulier dans Le Rouge et le Noir – les personnages doivent avoir un objectif principal.
Dans l’écriture de ce livre (et des autres) partez-vous plutôt d’un personnage ou d’une histoire ?
E. de B : L’origine de ce livre ainsi que celle des autres est une alchimie, une cuisine intérieure. J’aime la période qui précède l’écriture, lorsque tout est encore ouvert, un peu flou. Je rêve, je m’arrête de rouler à vélo pour noter une idée, je laisse venir des souvenirs, des émotions, des images… Je suis mes envies, mon plaisir. Je pars de moi, de moments de ma vie. Emilie et Blanche sont un peu moi. J’ai été cette jeune provinciale qui montait à Paris. J’ai été impressionnée, mal à l’aise dans le monde parisien des rallyes, des filles de Sainte-Marie de Neuilly où j’ai fait ma terminale et hypokhâgne. Elles me snobaient, jouaient les précieuses. Il m’a fallu m’intégrer. Comme Emilie, je tiens mon journal, je rêvais de publier un roman et bien d’autres choses que je vous laisse les découvrir… Comme Blanche, j’ai été comédienne, j’ai été stupéfaite devant les rivalités, l’arrogance des acteurs. J’ai connu des passions… Si la création d’un personnage, son évolution (qui m’échappe parfois) sont à l’origine de mes romans, je sais déjà un peu quel sera son destin. Il est lié à son caractère, à ses fêlures, à ses désirs. Il me guide, comme une étoile dans la nuit. Emilie et Blanche sont des aventurières, elles aiment le risque, elles se battent : elles ignorent que, dans l’ombre, des ennemis leur tendent des pièges. J’aime leurs défauts : leur naïveté, leur fragilité, leur impatience, leur goût de plaire. Mais surtout, leur capacité à rebondir.
Intrigues, rebondissements… Comment vous y prenez-vous pour structurer votre intrigue ?
E. de B : Dans ces deux romans, l’intrigue est liée à des rivalités, des jalousies… entre femmes. Charlotte de La Tour envie le succès, l’aisance d’Emilie, l’affection que lui porte sa mère, la comtesse Arsinoé de la Tour. Aglaé de Bouillon, la fille de Charlotte, représente l’ennemie n°1 pour Blanche. Pourquoi ce choix ? J’ai toujours écrit sur les femmes. Dans Les grandes Bourgeoises et Les Nouvelles provinciales (éd. J-C Lattès), les femmes vivent des amitiés fortes et pimentées. Leurs obsessions, leurs liens m’inspirent, excitent ma créativité. Je structure l’intrigue comme un artisan, une fileuse qui tire ses fils, les noue, tisse sa toile. Je me donne une trame. Je sais en gros où je vais : pour Emilie, j’avais envie d’une fin dramatique. Je sentais que ces pédantes auraient sa peau, qu’elle retournerait à son point de départ, en Bretagne. Intrigues, rebondissements, rapt, viol… sont tous liés aux scènes initiales, au trio fatal : Charlotte, la Montbazon, le duc de Beaufort. Pour Blanche, j’ai imaginé des fausses pistes, mais je ne vous révèlerai pas le coup de théâtre des dernières pages. J’ai changé la fin : la pauvre Blanche ne pouvait rester à quai, arrêtée par deux officiers musclés !
Je travaille en suivant mon scénario, je m’en éloigne souvent, je reprends des passages, je fais de l’Histoire ma petite cuisine, je me laisse entraîner, je suis mon instinct, ce qui me paraît le plus excitant.
Concrètement, quand et comment écrivez-vous ?
E. de B : N’importe quand, n’importe où. Dès que j’ai le temps. Rien ne me dérange ni le téléphone ni les passages des miens dans ma chambre ni les livreurs ni le bruit. Au contraire, j’ai besoin qu’il y ait de la vie autour de moi. Je me concentre très vite. Mon luxe est d’avoir une journée entière consacrée à mon roman. Ce qui est rare. Je m’y mets vers dix heures du matin, je reprends l’après-midi avant de me plonger dans les nombreux romans que je reçois. J’aime retrouver mes aventures le soir, quand tout est calme. A vrai dire, je n’ai pas d’horaires. Il y a chez moi, depuis l’enfance, une nécessité vitale qui me pousse à écrire. J’essaie de m’y mettre tous les jours, de ne pas perdre le fil. Lorsque je pédale à toute vitesse ou que je m’allonge sur mon lit, je laisse flotter mon esprit : les idées viennent d’une sensation, d’une couleur. Lorsque je bloque, je me glisse dans la peau de mon héroïne : je me relie à des émotions personnelles qui nourrissent son jeu, un peu comme une actrice cherche ses équivalences. Nous avons tous les personnages en nous, des facettes innombrables. Après un premier jet, je corrige mille fois mon texte, un jeu qui consiste à changer les verbes faibles, veiller aux répétitions, supprimer les adjectifs, les relatifs et autres lourdeurs. J’essaie d’évoquer les états d’âme par des détails, comme le font les romancières anglaises. A la manière de Stendhal, je privilégie une écriture sèche, des phrases courtes, bien balancées. J’essaie d’avoir de l’oreille : je me relis tout haut – Flaubert gueulait son texte. L’humour est essentiel, surtout dans les situations tragiques (on rit à un enterrement !). Parfois, une phrase me vient la nuit, je la note aussitôt. J’aime écrire « mano a mano » : sur du papier, les mots coulent mieux.
Comme Blanche, avez-vous une revanche à prendre dans la vie ?
E. de B : Heureusement, je n’ai pas à venger ma mère ! Si j’ai une revanche à prendre, c’est celle d’être fière de mes romans. Je préfère avoir l’estime d’une poignée de critiques ou de personnes qui me sont chères plutôt que de publier livres faciles, à visée commerciale : il faut parfois lutter, refuser des contrats, pour suivre sa ligne. Les essais, les biographies m’ennuient. J’aimerais réussir un ou deux romans, un peu comme ceux de Zweig que j’admire tant et me dire qu’ils sont vraiment à l’image de mes désirs les plus profonds. Longtemps, j’ai eu peur de me lancer. Je manquais de confiance en moi. (Le secret de ma mère reste le roman auquel je tiens le plus). Maintenant, j’ai acquis du «métier », du moins je l’espère. Il est l’heure d’aller à l’essentiel. D’oublier les envieux, les grincheux, les malveillants.
Que pouvez-vous nous dire du rôle de votre éditeur dans les différentes étapes de création, d’élaboration et d’affinage de votre manuscrit ? A-t-il, en fait, servi à quelque chose ?
E de B : Guillaume Robert a eu la bonne idée de me proposer une collection, une trilogie, Le Temps des femmes. Il m’a dit : « Tu es présidente du prix de La Closerie des Lilas ; votre groupe de romancières/journalistes ressemble à un salon littéraire. Tu aimes les destins de femmes, ce serait formidable d’imaginer trois artistes au XVIIè siècle ». L’idée m’a emballée. J’ai été très surprise de rédiger facilement un scénario, quatre chapitres. Il a lu la première version d’Emilie, m’a félicitée, encouragée. Je me suis sentie en confiance. J’ai continué la rédaction ; une correctrice m’a fait quelques remarques pertinentes. Que ce soit pour la structure ou pour le style, j’ai travaillé en toute liberté. Deux bons amis dont Pierre Canavaggio, ce jeune homme vert qui a connu Antoine Blondin, Jacques Laurent, Hitchcock, ont lu mon texte, m’ont rassurée. Je suis du genre maniaque, obsessionnelle : jusqu’au bout, j’ai malaxé cette pâte, afin qu’elle prenne, que le gâteau soit à mon goût, avec une cerise en prime !
Question délibérément naïve : être critique littéraire et auteure, est-ce compatible ?
E. de B : J’ai deux casquettes. L’une pour aller à la chasse aux papillons dans les jardins des voisins, l’autre pour cultiver les fruits et légumes de mon potager. Deux activités compatibles, comme une entrée salade niçoise suivie d’un poisson à la russe. J’ai la chance de recevoir les romans qui vont être publiés. Je lis par vagues, suis capable de bouquiner non stop pendant trois jours jusqu’à ce qu’enfin, je déniche des pépites. Rédiger un papier pour « donner envie » n’est rien par rapport au temps passé à lire. Etre critique, c’est faire un choix subjectif (nous sommes submergés de livres), se fier à ses goûts, tout en n’oubliant pas la lectrice de Romorantin. Les livres d’aujourd’hui n’ont aucune influence sur mon écriture. Les romans qui cohabitent dans mon inconscient sont ceux de Diderot, de Madame de La Fayette, de ce cher Tolstoï, de Flaubert, de Benjamin Constant, de Virginia Woolf, de William Styron, de Zweig, de Nathalie Sarraute… Le seul risque que court un critique est d’être enclin à défendre les auteurs de son éditeur ou ceux de ses amis journalistes. Je lutte contre le système de renvois d’ascenseur, mais reconnaissons que certains usent et abusent de ce procédé peu déontologique.
Si vous aviez deux ou trois conseils à donner aux écrivains en herbe, lesquels ?
E. de B : Je leur conseillerais de lire les romans des grands auteurs français ou étrangers, de la poésie (Baudelaire et Verlaine surtout). Bukowski fut un clodo ; il se réchauffait à la bibliothèque de Los Angeles où il a lu tous les livres qui y étaient de la lettre A à la lettre Z. Un peintre commence par arpenter les musées.
Amusez-vous à pasticher, à détourner des phrases, faites des gammes. Ensuite, débarrassez-vous des influences, n’imitez personne, devenez vous-même. Léger, plein de bonté. Vrai dans le mensonge.
Ecrivez simplement, sans effets. Mais soyez exigeant, ne versez pas dans la facilité.
Evitez les épanchements, la psychologie : ne confondez pas littérature et psychanalyse. L’art est ailleurs.
Ne vous prenez pas au sérieux. Moquez-vous de vous de vos personnages, ayez de l’humour.
Retravaillez énormément votre texte, n’hésitez pas à couper. Chaque phrase doit contenir un sentiment, surprendre.
Faites chanter la langue. Un roman est une partition.
Et un unique conseil aux écrivains confirmés ?
E. de B : Jouissez de votre art !
Propos recueillis par Gilles Chenaille
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